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(ici que la partie qui concerne le travail d'Annie Abrahams)
Section CRITIQUES Œuvres d'art en ligne Cécile Petit
Décembre 2002

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Le projet de Annie Abrahams répond à une arborescence hypermédia complexe. Avec Being Human, elle exploite largement les possibilités multimédia du Net, utilisant le texte, le son et la vidéo de manière parfaitement adaptée à son propos. L’œuvre existe de façon autonome, mais appelle également des liens externes. Pour Bertrand Gauguet, il s’agit d’un projet “à mi-chemin entre poésie virtuelle et art en ligne (…) mettant en scène des situations dialogiques et émotionnelles, (et conduisant) l’internaute à s’interroger sur les différents rites communicationnels qui révèlent et dessinent chaque jour davantage une cartographie nouvelle de notre contemporanéité». Pour Louis-José Lestocart, cette œuvre “met en scène et simule tout ce qui est primordial pour l’être humain. Expérimentant les sensations et les sentiments, (ce site) tient aussi compte des possibilités et des limitations de la communication sur Internet». Pour l’artiste elle-même, enfin, “le projet de Being Human consiste en l’exploration des dénominateurs communs de l’être humain”. Puis à elle de développer : “jusqu’à maintenant, j’ai travaillé sur le vouloir, le besoin de réconfort, de compréhension, de volonté, de s’ouvrir à l’autre et la nécessité de se protéger. Sur le réseau, nous sommes tous des nomades confrontés à notre statut d’étranger. J’essaye de faire des propositions qui ont la possibilité de rendre cet état vivable». Et le but est atteint… Car si un jour, vous vous sentez l’âme maussade, qu’il vous manque cette petite pointe de confiance en vous ou si vous vous sentez simplement esseulé, ne tardez pas à vous connecter à Being Human, qui regorge de réconfort, d’encouragements et de bonne humeur. Et même s’il ne s’agit ici que de simulation, que de virtuel, l’effet n’en est, a priori, pas moins réel pour l’utilisateur ! Comme nous l’avons dit, cette œuvre est hétérogène et fort complexe, entre autres puisqu’elle embrasse plusieurs catégories de notre étude. Nous l’analyserons donc différemment en fonction des diverses rubriques qu’elle propose. Ainsi, la page d’accueil introduit plusieurs liens conduisant à leurs rubriques respectives : “bonjour”, “vos vœux”, “identité”, “je veux : a kiss, tendresse, respect”, “douleur”, “alone”, “futur” et enfin “co(mn)fort”. La première, “bonjour”, fonctionne sur elle-même de manière absolument autonome et ne présente aucune interactivité. Elle intervient davantage comme une sorte d’accueil, d’introduction à l’œuvre. Des fenêtres colorées portant des messages s’ouvrent et se ferment, composant ainsi une conversation unilatérale avec l’utilisateur. “Bonjour, comment allez-vous ?”, “Ça va”, “Who are you ?”, “Vous ne me connaissez pas”, “Who I’m I ?”, “The same as you” sont autant de questions et de réponses qui forment cette “discussion”. Par cette petite application, Annie Abrahams pose la question de l’identité sur Internet, le “qui sommes-nous sur le Net ?” y est largement induit et sera repris et développé dans d’autres rubriques. Un conseil clôt cette page : “saluez votre voisin”, qui intervient ici comme ce qui devrait être le premier pas d’un individu vers autrui. D’autres liens appellent ce genre de petites applications dans lesquelles l’utilisateur est privé d’interactivité et contraint d’attendre la fin des messages pour avoir à nouveau accès au site. Dans “Alone” par exemple, une série de petites fenêtres aux couleurs vives s’ouvrent rapidement et courent sur l’écran, jusqu’à ce qu’une seule persiste contenant le mot “You”. Dans “Future”, une fenêtre s’ouvre déroulant un texte tenant en quelques phrases laconiques : “Everywhere”, “Nowhere”, “I don’t know”, “You don’t know”.  Ces petites interfaces ne sont pas à proprement parlé des œuvres hypermédia. Elles ne consistent qu’en un seul et unique lien qui, une fois actionné, engendre une action particulière. Elles sont cependant intéressantes car elles questionnent sans prétendre répondre à quoi que ce soit, elles appellent à la réflexion. C’est, en un sens, là où réside leur interactivité. Bien que l’utilisateur ne puisse agir sur elles, elles peuvent agir sur lui, provoquant une interrogation qu’il est libre de développer ou non.

D’autres rubriques présentent une forme plus complexe, comme “Douleur”, qui en plus de fonctionner sur elle-même, s’ouvre vers des liens externes. Being Human est un projet résolument tourné vers l’individu, à l’écoute des tous ses mots, physiques ou moraux, comme le montre particulièrement cette page qui concerne les RSI, “Repetitive Strain Injury”, soit des “douleurs musculaires fonctionnelles, lésions dues au travail répétitif”.  Annie Abrahams propose ainsi des informations et des solutions pour ceux qui, comme elle, éprouvent des douleurs “aux épaules, à la nuque ou aux mains pendant ou après une session d’ordinateur”, et ce sous la forme de plusieurs liens, internes ou externes. Il est même possible de télécharger un logiciel de pause en C++ sensé être un remède efficace. Une de ces rubriques est une lettre d’Antoine Moreau dispensant quelques conseils sur les moyens d’éviter le développement de ces maux, contenant également des liens extérieurs de manière à s’informer davantage sur la maladie. La possibilité est offerte aux internautes de déposer leurs questions, réactions ou témoignages… Mais cette lettre est aussi un appel à “ceux qui se sentent concernés par ce problème de RSI de réfléchir à un logiciel de pause pour prévenir les risques de contracter cette maladie.”

“Co(mn)fort” est une des rubriques les plus développée au niveau de la diversité des médias. Annie Abrahams propose ici de quoi rassurer les plus angoissés sous la forme de séquences sonores ou vidéo. L’utilisateur peut choisir parmi cinq personnes celle qui sera la plus apte à le rassurer (liens internes) et visualiser cette vidéo réconfortante, ou bien écouter un module sonore de Caroline Hazard disponible par téléchargement regorgeant de compliments à notre égard, ou d’une séquence de relaxation fonctionnant comme un économiseur d’écran, et enfin être également rassuré en langue grecque (liens externes). Avec cette rubrique, l’artiste nous interroge : “quelles sont nos limites et nos possibilités dans le désir de communiquer sur le Net ?”. Comment l’utilisateur peut-il recevoir ces informations sachant qu’elles ne lui sont pas adressées personnellement alors que le message l’interpelle directement ? Une telle expérience, virtuelle, peut-elle avoir une incidence sur le réel ? En expérimentant ces modules, l’utilisateur réalise une expérience touchant à l’intime, certainement au plus profond de sa personne. Être rassuré… C’est un sentiment apte à être provoqué par une personne proche, la main d’une mère, le regard d’un ami, les mots et la voix d’un être cher. Comment peut-on alors expérimenter quelque chose d’intrinsèquement humain au travers d’un écran d’ordinateur, avec un inconnu pour qui nous le sommes également et qui finalement s’adresse à tout internaute lambda ? Et en définitive, peut-on véritablement prétendre faire l’expérience d’autrui sur le Net ? Ce sont des questions récurrentes dans les autres rubriques sur lesquelles nous reviendrons plus tard compte tenu qu’elles appartiennent davantage des autres catégories de notre étude

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Le projet de Annie Abrahams, Being Human, que nous avons précédemment étudié, compte également une rubrique que l’on peut qualifier de collaborative. En effet, avec “Vos Vœux”, l’artiste invite les utilisateurs à lui communiquer leurs désirs personnels sous la forme d’une courte phrase, immédiatement enregistrée dans la liste générale. Ils bénéficient également de la possibilité de réagir en contactant directement par mail les personnes ayant émis un vœu. Ceux-ci sont également classés et accessibles par catégories (tranches d’âges, sexe, sujet du vœu…) dans lesquels ils sont adaptés en code HTML. L’artiste en exhausse certains en y répondant sous la forme de petites animations simulant leur réalisation. Ici encore, l’internaute est invité à proposer une adaptation des vœux en envoyant une animation ou en décrivant simplement une idée. Annie Abrahams pose donc la question du désir en stimulant sans cesse l’utilisateur à entrer en interaction avec les désirs de l’autre, créant ainsi une sorte de réseau autour de cette confession on-line dans laquelle les participants peuvent directement communiquer entre eux sans médiateur. L’œuvre s’étend donc au-delà du site lui-même, dépassant les frontières des pages mises en ligne par l’artiste. Encore une fois, l’œuvre échappe à son créateur et c’est à l’utilisateur d’agir et de faire ce qu’il veut de celle-ci. Cependant, nulle trace n’est gardée de la communication éventuelle entre ces “initiés”. L’expérience et son processus, propre à chaque utilisateur, est une composante sans laquelle l’œuvre ne pourrait fonctionner : le visiteur expérimente d’abord ses propres désirs, puis ceux des autres, et enfin d’autres pourront à leur tour expérimenter les siens. “Dans Being Human, tout repose sur la réponse des internautes suscitée par l’artiste» , mais au-delà de ces réponses visibles, il faut également considérer le processus d’expérimentation et de communication dans lequel le visiteur s’installe et qui concoure à l’élaboration du projet. En provoquant l’utilisateur dans son intimité, Annie Abrahams accrédite l’idée que l’expérience individuelle prime sur la mise en forme elle-même.

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